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De la molasse au béton brut

Lundi 8 mai 2020, 10 h, Bern Expo. Le simple énoncé du rendez-vous renferme le condensé de la situation tragique que nous traversons. 

On le sait, l’Assemblée fédérale aime la stabilité, voire la routine. Or, cette semaine-là, tout était singulier. Le lieu d’abord, cette cathédrale de béton brut, froid et austère remplaçant la molasse solennelle du Palais fédéral. La date ensuite, trois jours de session pour les deux Chambres, alors que normalement, il y a quatre sessions ordinaires de trois semaines par an plus une session spéciale début mai pour le seul Conseil national, qui, épris d’envolées lyriques et de débats fleuves, a besoin d’une session de rattrapage. L’heure enfin, 10 h et non 14 h 30, comme pour allonger ce marathon de trois jours.

Oui, une session extraordinaire, dans un lieu extraordinaire, répondant à une situation extraordinaire. Et cela, pour les deux Chambres, à des dates et heures inusuelles, rien que cela, dans le microcosme fédéral, confinait (et je choisis mes mots !) presque à la révolution.

C’est que l’heure était grave. Au-delà de la douce ironie par laquelle je commence à évoquer une session extraordinaire dans tous les sens du terme, il y a cette réalité crue. Jamais, même pendant les guerres, une session n’avait été annulée. Jamais l’Assemblée fédérale n’a dû siéger dans un autre lieu pour des motifs de sécurité. Jamais le risque de chômage avec son terrible cortège de misère n’a semblé aussi proche de la Suisse. Jamais des crédits supplémentaires d’une telle ampleur n’ont été votés. Ni pour le sauvetage de Swissair, ni pour celui de l’UBS, ni pour des plans de relance. Jamais.

À cette gravité, l’Assemblée fédérale a (partiellement) répondu présente. D’abord sur la forme. Les débats ont été longs, engagés et dignes. Le Parlement a démontré que même en temps de crise, la démocratie peut et doit fonctionner. La Suisse n’a pas besoin d’un Líder Máximo, elle a ses institutions séculaires.

Mais voilà, le Parlement fédéral, même rajeuni, verdi, féminisé, compte toujours un bloc de droite quasi inamovible. Alors si sur la forme, on doit se féliciter de la solidité des institutions, on doit en regretter le conservatisme sur le fond. Les crédits supplémentaires proposés par le Conseil fédéral ont certes été votés – ce n’est tout de même pas rien, avec des dizaines de milliards pour le chômage partiel (RHT), le soutien à la culture, les allocations perte de gain (APG), les prêts aux entreprises… –, le Parlement a certes un peu desserré la bride de l’exécutif pour les crèches et le tourisme ; pour tout le reste, un non aussi froid que le béton brut de la Bern Arena a stoppé net les élans de solidarité proposés par notre camp. Ce Parlement a octroyé un soutien massif à l’aviation sans contrepartie, a déclaré non urgente la question des loyers commerciaux, a refusé d’interdire les dividendes pour les entreprises touchant la RHT.

À cette raideur, nous répondrons par la pugnacité. Nous reviendrons à la charge en juin, car la population a besoin d’autres actions concrètes. Il faut trouver une solution pour les commerçants qui n’arrivent pas à payer leur loyer commercial, forcer le coffre-fort fédéral pour payer les tests de dépistage Covid-19, voter de nouveaux crédits pour que le chômage n’explose pas ; peut-être plus que tout, il faut agir vite pour que la misère ne submerge pas notre population. Cette opiniâtreté finira par fissurer le camp bourgeois, car même le béton de la Bern Arena a ses failles. Sachons les trouver pour nous y engouffrer.

De la molasse au béton brut

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