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Des juges tirés au sort ?

On a d’abord cru à une galéjade, « eine Schnapsidee » comme disent nos Confédérés alémaniques. Celle d’un justiciable mécontent de décisions rendues par le Tribunal fédéral, en l’occurrence un entrepreneur obwaldien multimillionnaire, M. Adrian Gasser. C’est pourtant très sérieux.

Sujet de son initiative : l’élection des 38 juges répartis entre les sept cours du Tribunal fédéral et de leurs 19 suppléants. Actuellement, quiconque a le droit de vote en matière fédérale est éligible. Les juges sont élus pour des périodes de six ans, renouvelables jusqu’à l’âge de 68 ans révolus, par l’Assemblée fédérale, sur proposition de la Commission judiciaire et, selon la coutume, en fonction de la force respective des partis représentés au Parlement.

C’est ce dernier point surtout qui indispose M. Gasser et ses amis. Selon eux, il est malsain que de facto, seule une personne membre ou sympathisante déclarée d’un parti politique puisse accéder à la plus haute fonction judiciaire de l’État. D’autant que selon l’usage, un magistrat doit verser une cotisation d’un montant variable à « son » parti, sous peine de perdre le soutien de celui-ci à l’échéance d’une période de fonction.

Le remède proposé par l’initiative est inédit en droit fédéral : le tirage au sort parmi des candidats sélectionnés par une commission ad hoc nommée par le Conseil fédéral pour un mandat unique de 12 ans. Seule restriction à la liberté de choix des commissaires : les langues officielles devront être équitablement représentées au tribunal. Pour le surplus : « L’admission au tirage au sort est régie exclusivement par des critères objectifs d’aptitude professionnelle et personnelle à exercer la fonction de juge au Tribunal fédéral. »

Il y a bien longtemps, je pensais que le Tribunal fédéral – dont les arrêts constituent avec les lois la matière première du droit suisse – était formé des meilleurs juristes du pays. Illusion perdue au gré de mon activité professionnelle d’avocat puis de membre d’une cour fédérale. Les juges fédéraux sont des femmes et des hommes comme les autres. On y rencontre des idéalistes et des carriéristes, des bosseurs et des flemmards, des courageux et des couards. De bons ou de mauvais juristes, c’est selon, le droit n’étant pas une science exacte et les gens de justice excellant dans la controverse.

Cependant, aucun juge fédéral ne travaille avec le code dans une main et le programme de « son » parti dans l’autre. Seuls quelques imbéciles s’imaginent qu’un magistrat est obsédé par sa réélection et obéit aux consignes du Parti, comme dans les États totalitaires. Même imparfait, le système actuel permet au moins de maintenir au Tribunal fédéral une représentation à peu près équitable des diverses sensibilités politiques de la population. Tandis que le tirage au sort des juges préconisé par l’initiative aurait pour conséquence de rompre cet équilibre délicat, sans apporter la moindre amélioration à la qualité de la jurisprudence.

Par contre, une vraie réforme consisterait à instaurer l’élection des juges fédéraux pour une durée déterminée, 15 ans par exemple, sans possibilité de réélection.

Il faut donc rejeter l’initiative de M. Gasser, sans pour autant se dispenser de réfléchir à une réforme du mode d’élection des magistrats fédéraux.

Des juges tirés au sort ?

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