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Féminicides : l’émotion ne suffit pas, il faut une réponse politique durable

Le 19 août à Corcelles, un mari a assassiné sa femme et ses deux enfants. Ce triple féminicide a bouleversé bien au-delà des clivages politiques. Parce qu’il nous concerne toutes et tous. Parce qu’il touche au cœur de notre société : à la sécurité, à la dignité, à la vie.

Mais cette émotion, aussi légitime soit-elle, ne suffit pas. Il faut une réponse politique à la hauteur. Une réponse cohérente, construite – et surtout de long terme.

Le drame de Corcelles n’est pas un cas isolé. Il a porté à 22 le nombre de féminicides recensés en Suisse cette année. Depuis, quatre nouveaux ont été enregistrés, portant ce chiffre à 26, alors que 19 féminicides avaient été comptabilisés pour toute l’année 2024, ce qui marque une aggravation préoccupante. Tous les 11 jours, une femme est tuée. Chaque semaine, une autre survit à une tentative de féminicide.

Ces chiffres terribles ne sont pas des exceptions, mais les symptômes d’un système qui laisse faire. Les violences sexistes ne relèvent ni de l’origine ni d’un groupe social : elles traversent toutes les couches de la société. Elles sont structurelles, systémiques et exacerbées par le retour en force des idées conservatrices, qui banalisent la domination et excusent la violence.

À Neuchâtel, dix personnes – dont cinq enfants – ont été tuées dans un contexte de violences domestiques depuis 2021. En 2023, le Service d’aide aux victimes (SAVI) a vu ses journées d’hébergement augmenter de 40 %. Les structures sont à bout. Malgré les mesures mises en place, comme le Centre de médecine des violences, les besoins explosent, et ce, en raison d’un sous-financement chronique de la prévention des violences sous toutes leurs formes.

La compréhension et la reconnaissance du contrôle coercitif sont désormais au cœur de la lutte contre les violences conjugales et domestiques. Ces violences – psychologiques, économiques ou procédurales – se manifestent fréquemment dans le contexte de séparations impliquant des enfants. Certaines femmes se retrouvent ainsi endettées jusqu’à 50 000 francs, simplement pour pouvoir assurer leur défense juridique face à un co-parent acharné et disposant de moyens financiers supérieurs. Peut-on vraiment se contenter de répondre « c’est injuste, mais c’est ainsi » ? Bien sûr que non. Le GREVIO, organe de suivi de la Convention d’Istanbul – ratifiée par la Suisse – rappelle que la violence psychologique, y compris les menaces et la violence économique, dégénère souvent en violences physiques concrètes. Dans son rapport[1] , il qualifie la situation en Suisse de préoccupante, pointant de graves lacunes dans la prise en charge de ces formes de violences.

C’est pourquoi, en septembre, nous avons interpellé le Conseil d’État pour demander plus de moyens en faveur de la prévention, de la détection précoce et d’une meilleure coordination. Une proposition de motion est également en cours pour faire reconnaître et traiter plus efficacement le contrôle coercitif dans les procédures judiciaires et sociales. Elle comporte un large volet de mesures, dont la formation des professionnel·les concerné·es (juges, avocat·es) et la demande de recourir à l’expertise psychiatrique pour appuyer les procédures judiciaires.

Force est de constater que les pratiques actuelles demeurent largement insuffisantes face aux nombreux actes de violence documentés.

Sans changement structurel et sans volonté politique forte, nous devenons collectivement complices de ces violences.



[1] Rapport d’évaluation de référence. Suisse, 2022 : https://rm.coe.int/grevio-inf-2022-27-fre-rapport-final-suisse-publication/1680a8fc76.

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