Je ne suis sûrement pas le plus légitime pour rendre hommage à Francis, bien d’autres camarades pourraient encore mieux parler de lui. Homme d’État, attaché à sa ville, à sa terre jurassienne mais aussi aux Alpes et avant tout à sa famille, il va énormément nous manquer, avec son rire inimitable et sa savoureuse soupe aux pois de la Braderie ! Exigeant envers les autres et surtout avec lui-même, il ne laissait personne indifférent. Il aimait la vie, le montrait et le disait. C’est notamment grâce à lui et à notre camarade Philipe Bois (dont j’étais l’assistant à l’Université) que j’ai adhéré au parti en 1984. Nous nous connaissions de loin : il avait été l’élève de mon père, professeur à l’École de commerce de La Chaux-de-Fonds et président du PSN.
En 1976, Matteo fut élu au Conseil communal de La Chaux-de-Fonds, qu’il présida de 1980 à 1988. Il incarnait cette ville qui a souffert d’une grave crise horlogère à la fin des années 70 et au début des années 80. Des milliers d’emplois ont été perdus, plusieurs milliers d’habitants sont partis. Matteo a tenu bon et s’est battu, avec les autorités communales, pour redonner de l’espoir à la population, comme un courageux capitaine à la barre lors d’une tempête, sur qui les passagers comptent pour les ramener à bon port. Il a en outre rendu possible la scolarisation des « enfants du placard », estimant, avec le directeur de l’école primaire Jean-Michel Kohler et d’autres, dont Jean-Jacques Delémont, que le statut légal précaire des parents étrangers ne devait jamais prétériter leurs enfants, qui avaient un droit fondamental à l’éducation.
Il a poursuivi ce combat pour l’intégration après son élection au Conseil d’État en 1988, avec ses collègues Pierre Dubois et Jean Cavadini. Sa lutte pour l’intégration et l’ouverture à l’autre a été reconnue par le Conseil fédéral, qui l’a nommé président de la Commission fédérale des étrangers, puis des migrations, jusqu’en 2011.
On ne peut parler de Francis sans mentionner son élection au Conseil fédéral le 3 mars 1993 et son renoncement le 10 mars, permettant l’élection de Ruth Dreifuss. Du jamais vu depuis 1881 ! Francis, qui aurait certainement été un excellent conseiller fédéral, a pris une décision courageuse pour éviter une grave crise au sein de notre parti et du pays. Ce fut une très rude épreuve pour lui, sa famille et ses amis proches. Sa loyauté, son honnêteté intellectuelle et son sens de l’État l’ont conduit à résister au chant des sirènes qui, ici et à Berne, l’exhortaient avec insistance à accepter son élection. Tous n’auraient peut-être pas eu ce courage…
Je n’ai pas remplacé Francis au Conseil national en 1995, je lui ai succédé. Avec gentillesse et patience, il m’a donné les clés et les codes pour m’intégrer dans un microcosme totalement nouveau, peu accueillant pour les néophytes.
Lors de ses dernières années au Conseil d’État et après son départ en 2001, il a présidé l’Expo 01, puis 02, affrontant vents et marées. Ce fut une réussite, alors que beaucoup, doutant de l’utilité même de cet évènement fédérateur, annonçaient une catastrophe.
Francis avait parfois un caractère un peu rugueux. Ses successeurs socialistes en Ville de La Chaux-de-Fonds et au Conseil d’État se rappellent avec émotion les « engueulades » reçues de temps en temps de sa part, lorsqu’il estimait qu’ils avaient fait une erreur. Jamais inamical, c’était ferme, toujours motivé par son amour de la chose publique.
Toute notre sympathie va à sa famille, qui comptait plus que tout pour lui.
Adieu Matteo !