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Parc éolien du Crêt-Meuron : un autre point de vue

« L’urgence climatique exige un changement rapide de nos modes de vie et des actions massives. » « Inscrit dans la Constitution neuchâteloise dans son seul principe, l’éolien contribue à décarboner la production d’énergie. » Dans le débat sur les éoliennes, ces deux affirmations expriment des réalités. Cela veut-il dire que toutes les actions sont à appliquer uniformément ? Certainement pas. La formule lapidaire « chaque action compte » est répétée depuis trente ans sans résultat spectaculaire. Je l’ai moi-même utilisée en promouvant l’éolien professionnellement et politiquement. J’ai changé d’avis, en particulier pour le projet du Crêt-Meuron, car les faits ont changé sur deux aspects : les avancées techniques et l’importance du paysage.

Énergie décarbonée essentiellement solaire

Plusieurs spécialistes avisés, pro-éoliens – par exemple Roger Nordmann, conseiller national socialiste, dans son livre Le plan solaire et climat, ou Konstantinos Boulouchos, professeur émérite de technique énergétique à l’EPFZ, dans différents articles – le démontrent : aujourd’hui, les besoins suisses en énergie décarbonée peuvent être couverts essentiellement par le solaire ; ils confirment ainsi ce que prévoyait Thomas Hinderling, alors directeur du CSEM, il y a une quinzaine d’années. Les avancées techniques sont aussi probantes en hydraulique, pompes à chaleur, isolation des bâtiments, suppression du gaspillage d’énergie et de l’obsolescence programmée – sans compter la recherche d’autres technologies. Les connaissances techniques et scientifiques sont là. Les choix et les décisions politiques, certes complexes et difficiles, ne suivent pas. Sur le terrain, les listes d’attente pour les installations solaires, les raccordements aux chauffages à distance, les pompes à chaleur et l’isolation des bâtiments s’allongent, en particulier par manque de personnel formé. La lutte contre le gaspillage et l’obsolescence programmée est modeste, même si l’effet de la guerre en Ukraine et le possible manque d’énergie ont un effet de réveil. Aujourd’hui, donc, on peut analyser les conséquences de chaque action.

Identité culturelle, paysage emblématique

Ainsi en va-t-il de l’identité historique et du paysage de l’emblématique Vue-des-Alpes et de Tête-de-Ran.

Quelques traits de cette identité : le défrichement des montagnes, action de liberté au 14e siècle ; les symboles de l’imaginaire suisse que sont la montagne irradiant par ses légendes et le col, lieu de liaison, de passage, d’accueil et de rencontres ; la route ouverte en 1813 et les tunnels en 1860, 1996 et 2035, stimulants de l’horlogerie et de la haute précision ; le nom qui incite immédiatement au paysage ; l’hôtel construit en 1842, annonciateur du tourisme ; l’initiative populaire pour la protection des crêtes, suivie du décret de 1966, un des éléments déclencheurs de l’aménagement du territoire en Suisse ; les multiples activités estivales et hivernales de sport, de ressourcement, de santé, connues au-delà des frontières nationales.

Partout, le paysage monte en puissance dans le public, sensibilisé par le changement climatique, la pandémie du coronavirus ou le smartphone qui permet à tout un chacun de le photographier à tout instant et d’apprendre à l’observer. Le balcon de la Vue-des-Alpes offre le paysage somptueux des Alpes et du Plateau au sud, du Jura franco-suisse et des Vosges au nord, des crêtes jurassiennes à l’est et à l’ouest. Ce paysage est la première part de l’identité de la Vue-des-Alpes et de Tête-de-Ran, donc une partie de l’identité neuchâteloise et de son histoire. Identité culturelle saisie par des artistes du cru, tels que le peintre Charles L’Eplattenier et l’écrivaine Anne-Lise Grobéty.

Le paysage dans les consciences

Le paysage est entré dans les réflexions des anthropologues sur la nécessité de changer nos modes de vie. Philippe Descola, Bruno Latour ou Donna Haraway, par exemple, proposent de replacer l’espèce humaine parmi les autres composantes de la nature, en la destituant de l’impérial piédestal d’ordonnatrice et exploitante de la nature où l’ont juchée le christianisme et le capitalisme. Et voici l’illustration de la colonisation du Crêt-Meuron et de ses jonquilles par une zone industrielle de production d’énergie, même décarbonée.

Augustin Berque décrit le paysage comme une notion culturelle de perception du regard initiée par les peintres chinois au 4e siècle et néerlandais au 15e siècle. Cet été 2022, dans toute l’Europe, des expositions présentent ce que le changement climatique sur le paysage inspire aux artistes. Végétal ou urbain, le paysage s’installe dans les consciences. Dégradé il déprime, élaboré naturellement ou artificiellement, il apaise par le bien-être qu’il procure.

L’étude paysagère du concept éolien du plan directeur cantonal, de juin 2010, sérieuse, conclut paradoxalement à l’implantation du parc éolien, précisément dans la zone qui attire population et visiteurs pour ses qualités paysagères, de ressourcement et de santé.

Passions tristes, passions joyeuses

Ce parc éolien, propriété tour à tour anglaise et coréenne, à nouveau à vendre, conçu il y a deux décennies sur des bases techniques en partie obsolètes, susceptible d’être arrêté en cas de danger pour les skieurs, est considéré comme peu performant par tous les spécialistes. Un moratoire permettrait d’actualiser le projet ou de l’abandonner. Ce ne serait pas envisagé pour ne pas déconsidérer le travail et le temps qui lui ont été consacrés. Ce qui voudrait dire que l’on est prêt à sacrifier un site emblématique neuchâtelois pour des raisons égotiques, alors qu’il existe maintenant d’autres solutions. Cela ressemble à l’emballement des passions tristes de Spinoza.

Il est des actions qui comptent plus que d’autres : celles qui sont énergétiquement performantes, économiquement rentables, qui impactent l’environnement aussi peu que possible et participent à la construction du paysage. Ces actions prennent en compte la complexité du monde, ses multiples contraintes et ses situations angoissantes, tout comme ses beautés et ses plaisirs simples, peu onéreux et peu polluants mais populaires, comme une randonnée à pied, à ski ou à VTT sur les crêtes avec pour décor un paysage somptueux. C’est une vision apaisante des passions joyeuses de Spinoza.

Plus ironiquement, une autre possibilité serait d’acheter sur Internet, en cryptomonnaie, l’avatar de cette vision idyllique, dans un métavers alimenté en énergie éolienne provenant du territoire réel où même les vaches n’auraient plus envie d’aller.

Crédits photographiques: Jo l'Helvète

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