Nombreuses et nombreux sont les dirigeant·e·s qui vendraient sans hésiter père et mère pour se retrouver dans une situation où la plus grande organisation patronale et la plus grande organisation syndicale trouvent une solution commune à l’épineuse question des retraites. Or, en Suisse, c’est exactement ce qui s’est passé : l’Union patronale suisse (UPS) et l’Union syndicale suisse (USS) ont proposé, ensemble, un projet au Conseil fédéral. Nos sept sages l’ont proposé au Parlement pour accord, trop contents qu’une solution émerge enfin.
Mais c’est mal connaître la majorité de l’Assemblée fédérale qui, s’agissant des questions sociales, dispose d’une morgue et d’une arrogance sans limite. Sous les coups de butoir de l’UDC, du PLR et d’une grande partie du Centre, le Parlement a décrété que cet accord était beaucoup trop favorable aux employé·e·s et a commencé à le détricoter. Schématiquement, le Parlement a conservé – voire accentué – tous les sacrifices auxquels l’USS consentait, mais a supprimé ou édulcoré toutes les compensations qu’acceptait l’UPS. C’est pour cela que l’on se retrouve avec une réforme totalement déséquilibrée, unilatérale dans son objectif de diminuer les rentes.
De quoi parle-t-on exactement ? La mesure phare du projet prévoit la diminution du taux de conversion légal. Ce taux fixe en effet le taux minimal de transformation du capital en rente. Le taux actuel est de 6,8 % ; il baisserait à 6 % avec la réforme. Cela signifie qu’aujourd’hui, si l’on a un capital accumulé au moment de la retraite de 100 000 francs, la rente minimale est de 6 800 francs. Demain, elle serait de 6 000.
C’est problématique parce que cette réforme fait totalement abstraction du fait que ces vingt dernières années, les rentes moyennes n’ont cessé de baisser alors que les cotisations n’ont jamais été aussi élevées. La cotisation est ainsi passée en moyenne de 11,5% à 13,5 %, alors que la rente mensuelle passait de 3 000 à 2 750 francs. Dit autrement, avant même cette réforme, on paie toujours plus pour avoir toujours moins ; le projet voté par le Parlement permettrait non seulement de continuer dans cette direction, mais d’accentuer le mouvement.
On peut se demander où va tout cet argent. Eh bien, dans les caisses de pension, et il y reste ! Jamais elles n’ont été aussi riches qu’aujourd’hui : elles ont en réserve environ 110 milliards !
La réforme ne ferait qu’accentuer tout cela, parce qu’en plus de diminuer les rentes, elle augmenterait les cotisations en réduisant le montant de coordination (le montant à partir duquel on cotise). A priori on pourrait se dire que, pour les petits salaires, certes il y aurait une perte de pouvoir d’achat (payer la cotisation que l’on ne payait pas), mais comme l’employeur en paierait aussi une, normalement on devrait au bout du compte bénéficier du changement. Malheureusement, cette augmentation de cotisation, qui implique une augmentation de la rente, ne couvrirait pas la baisse de montant de coordination…
Finalement, le seul véritable gagnant de ce projet, ce seraient… les courtiers, les assurances et le secteur financier. Car oui, si les rentes diminuent, les coûts du 2e pilier, dont la part du lion revient au secteur financier, ne cessent d’augmenter. L’on est passé d’un coût d’un peu plus de 2,5 milliards pour la gestion financière pour l’ensemble des caisses de pension en 2013 à plus de 6 milliards l’an passé !
Or, durant le débat sur la révision de la LPP, des outils ont été proposés pour limiter ces gains et permettre de dégager des économies pour les caisses de pension. La réponse ? Niet, une fois encore.
Alors ne nous trompons pas ! Il faut refuser cette réforme unilatérale, sans concession et qui pèserait très lourd sur le dos des travailleurs.